C'est un mercredi pluvieux à Bruxelles pour rencontrer un philosophe, psychanalyste, un inventeur d'univers, un créateur. Les pavés, les rues montent, descendent, se croisent. Il est 13h05 rue Marconi quand Julien Friedler m'ouvre la porte de son atelier du Boz.
Bruxelles, image d'illustration (Virginia Mayo/AP/SIPA)
Un nouveau système ?
C'est quoi au juste le Boz ? Il sourit, en quelques volutes de fumée de cigarettes, il extirpe de ses expériences passées l'idée d'un monde enchanté, né à partir d'un mythe. Un monde partagé d'enchanteurs qui prendront le temps. Le temps de s'interroger, de déplier leurs pensées.
Déplier c'est marquer un arrêt, une respiration. Regarder le ciel. Fuir ce monde de bruit, de fureur, apprendre à sortir de ce long et mouvant mouvement de stress (universel). Nous devisons sur des philosophes, des lignes de livre, de mots perdus, volés, retenus. C'est agréable. Serions-nous entrain de créer ?
Dans sa démarche, Julien Friedler met en place ce qu'il désigne sous le nom de Be Art : une tentative à transcender le champ de l’art de sorte à le projeter dans le champ social. À l’inverse du Pop Art qui rapatria des icônes populaires dans une enceinte privilégiée, le Be Art visera à investir des populations pour, de proche en proche, les transformer en un avatar de l’Artiste.
Ici, la population comme telle sera donc productrice d’œuvres, moyennant les individus qui la composent. En l’occurrence, il suffira d’en être pour le devenir ; selon cet axiome, il y a en chacun de nous un artiste qui sommeille.
La Forêt des âmes
Allant au cœur de sa pensée et la liant à l'action, Julien Friedler a mis en place dès le 2 décembre 2006"un tour du Boz en 80 ans". Ce projet pivote autour d'un simple questionnaire.
Six questions invariables posées aux quatre coins du monde, à tous et à toutes, sans discrimination. Cette œuvre s’achèvera le 2 décembre 2086. Il s’agit donc d’une Vanité, au sens classique du terme, qui sera pérennisée par une “Forêt des âmes”.
(Virginia Mayo/AP/SIPA)
Une vanité, car a priori, son créateur n'en verra pas la fin. Seules seront visibles pendant ce temps, les traces de ce tour. Des images, des vidéos, des portraits de ceux qui remplissent le questionnaire. Ombres mouvantes d'une archéologie se faisant.
Je l'interroge sur ces six questions. Six questions simples, six questions fondamentales à toutes les sociétés et civilisations. les réponses, plus de 70.000 questionnaires déjà et des réponses multiples, des dessins, des œuvres, des écrits. Les questionnaires, par la suite, seront mis dans des colonnes. Et celles-ci ne laisseront rien percevoir de ces traces d'humanité. Ces colonnes seront exposées à Knocke en Belgique dans un manoir musée qu'il met en place.
Cette forêt continue son chemin aujourd'hui à la fois en ligne et également sur le terrain. Il y a eu des rencontres au Togo, au Rwanda, au Chili... Aujourd'hui avec les Ashinkas en Amazonie, demain en Indonésie, en Chine. Des reportages, des rencontres (certains accessibles en ligne). Au fil des rencontres, des tissages de poussière, des rêves un peu fou.
Des rencontres inoubliables qui ont donné lieu à des expositions. Des moments uniques qui lui font briller les yeux.
Pour découvrir le questionnaire, c'est par ici !
L'abandon de soi ou l'offrande de soi
Le Boz, Spirit of Boz, c'est un mouvement de chercheur d'art. Par sa démarche Julien Friedler ouvre la boîte de la création, de la libre expression. C'est en faisant ce constat qu'il a mis en place un projet concomitant à la Forêt des âmes : Give Up.
Ce projet s'édifie autour d’un objet quelconque donné par quiconque. Basée sur l’association libre et le concept "d’objet transitionnel", cette œuvre sollicite l'imaginaire collectif. Des artistes se répondent, d'un pays à l'autre. Le premier exemple entre des artistes du Togo et des artistes de Belges.
Je m'interroge sur cette passerelle lancée entre les civilisations, à l'heure des nouvelles technologies, prendre le temps. C'est presque merveilleux, féérique. Il s'agit de donner à voir autrement, ou percevoir l'altérité simplement dans sa différence.
La porte de l'Atelier se referme, je retrouve les pavés. Et en une inspiration, je regarde le ciel. Nous manquons terriblement de Julien Friedler. Un faiseur de mythe, de légende. La pluie bat finement la rue, les immeubles ont un goût d'immensité. Six questions pour un patrimoine mondial de l'humanité. Il fallait y penser, il fallait le faire !